Quelle serait la “bonne” date de Pâques? Celle des catholiques, ou celle des orthodoxes?

Tous les ans, à la même période, un bon nombre de chrétiens libanais attendent impatiemment qu’il pleuve le vendredi saint, croyant que cela justifierait le calendrier qu’ils suivent pour la période de Pâques : s’il pleut à notre vendredi saint, c’est que notre date de Pâques est juste et que nous sommes dans la bonne “foi”.

Mis à part que la “justesse” de la date de Pâques n’a aucun rapport avec la “justesse” de notre foi, le lien établi par les chrétiens libanais entre la pluie du vendredi saint et la date de Pâques est basée sur deux grandes erreurs.

La première est une méconnaissance de la tradition chrétienne et de l’histoire des calendriers. En 325, le concile de Nicée a fixé la date de Pâques au dimanche qui suit la première pleine lune du printemps. Ainsi, du 4e au 16e siècle, tous les chrétiens, orientaux et occidentaux, ont fêté Pâques à la même date. Le calendrier qui était alors suivi est appelé le calendrier julien, en référence à Jules César qui l’a établi en l’an 46 avant notre ère. Ce calendrier est basé sur une année de 365,25 jours (un jour de plus tous les 4 ans). Or l’année solaire moyenne dure 365,2425 jours. La différence parait minime, mais 0,008 jour par an équivaut à 8 jours par millénaire !

A la fin du 16e siècle, les observations astronomiques ont permis de repérer ce décalage. Le pape Grégoire XIII a alors sorti une bulle papale introduisant un nouveau calendrier qui, d’une part, corrige le mode de calcul des années bissextiles (en gros : tous les 4 ans, mais pas tous les 100 ans) et, d’autre part, récupère les 10 jours de décalage qui s’étaient accumulés. Ainsi le lendemain du jeudi 4 octobre 1582 fut le vendredi 15 octobre !

Ce nouveau calendrier, appelé grégorien, fut assez rapidement adopté dans les pays catholiques, puis progressivement dans le monde entier, du moins dans le civil (c’est le calendrier que l’on utilise tous les jours). Aujourd’hui, il y a 13 jours d’écart entre le calendrier julien et le calendrier grégorien. Le calendrier julien est encore utilisé comme calendrier liturgique chez les orthodoxes, mais pas toujours. Ainsi, l’Église orthodoxe russe fête Noël le 7 janvier (qui correspond au 25 décembre julien), mais l’Église orthodoxe antiochienne le fête le 25 décembre : elle est donc en train de suivre le calendrier grégorien pour Noël, mais pas pour Pâques.

La deuxième grande erreur est d’ordre biblique. Les récits évangéliques de la crucifixion du Christ ne contiennent aucune trace de pluie ! Les chrétiens libanais se basent probablement sur la mention des ténèbres à midi que l’on trouve chez Marc, Mathieu et Luc. Ils ont dû faire des déductions hâtives, du genre : ténèbres -> ciel sombre -> nuages -> pluie.

En revenant au texte, on lit : “A midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu’à trois heures” (Marc 15,33). Il ne s’agit donc ni de simple pluie, ni d’un ciel assombri, mais de ténèbres sur toute la terre. Nous sommes donc devant un phénomène surnaturel, une réponse divine au défi lancé par les prêtres et les scribes :

Il en a sauvé d’autres, il ne peut pas se sauver lui-même ! Le Messie, le roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix, pour que nous voyions et que nous croyions ! (Mc 15,31-32)

Dans la tradition biblique, les ténèbres en plein jour est un signe typique des théophanies bibliques, souvent utilisé par les prophètes pour exprimer la colère divine lors du jour de jugement, le jour du Seigneur (voir par exemple Amos 5,18 ; Sophonie 1,15 ; Joël 2,2). La mention horaire, à midi, nous renvoie tout particulièrement à la prophétie d’Amos :

Il arrivera, ce jour-là – oracle du Seigneur, mon Dieu – où je ferai se coucher le soleil en plein midi et enténébrerai la terre en plein jour ; j’y ferai tourner en deuil vos pèlerinages, en lamentations tous vos chants ; je mettrai sur tous les reins un sac, je raserai toutes les têtes ; je vous le ferai porter comme le deuil d’un fils unique, et ce qui s’ensuivra ressemblera à un jour d’amertume (Am 8,9-10).

Or ce jugement de Dieu n’a pas été, comme les Juifs auraient pu s’y attendre, de châtier les coupables de la mort de son fils unique. C’est même tout le contraire puisqu’il l’a abandonné entre leurs mains ; ce qui en dit long sur l’image de Dieu qui se révèle ainsi. En laissant son Fils mourir, Dieu se montre respectueux de la liberté de l’homme, fût-il le tortionnaire de son bien-aimé. Il n’est pas le Seigneur qui traite ses sujets selon qu’ils lui soient fidèles ou pas, mais le Père qui aime tous ses enfants, bons ou mauvais, justes ou pécheurs (voir Matthieu 5,45).

De plus, ce jour du jugement divin, ce jour du Seigneur, était censé être le dernier jour de notre monde. Ainsi, ce signe des ténèbres à midi est aussi un signe de fin du monde. D’ailleurs, à ce signe, Matthieu, dans son récit de la mort de Jésus, a ajouté deux autres signes de fin du monde : le tremblement de terre et la résurrection des morts (Matthieu 27,51-52).

Aussi ne faut-il pas prendre à la légère ces récits évangéliques bien construits. Les détails qu’on y trouve n’ont pas été mis pour nous indiquer à quelle date on devrait fêter Pâques, mais pour nous dire des vérités théologiques profondes sur Dieu et sur nous-mêmes. La mort du Christ inaugure un nouveau monde, une nouvelle ère, celle du Royaume du Père !

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